lundi 20 août 2018

Extrait du Carnet de route (guerre 39-45) de mon arrière grand-père Pierre Fournel. Fin du carnet, Fusillade des 50 Otages, bombardements de Nantes par les Anglais et les Américains


1.8.40 Arrivée à Nantes vers 14h. Joie de toute la famille. Je me présente à la Direction de l’octroi et prends quelques jours de congé pour voir Guémené et toute la famille. C’est drôle de se revoir civil après 11 mois d’absence.
15.5.41 Le ravitaillement est difficile tout s’achète avec des tickets de rationnement et on ne trouve rien ou presque. On a droit à 275g de pain par jour, 100g de viande par semaine, 3Kg de patates par mois, 200g de beurre ou graisse par mois, un peu de pâtes et fromage (à 15% de mat. Grasses) et encore, quand on peut s’en procurer. Tout est taxé mais pour avoir la marchandise il faut la payer au-dessus de la taxe. Les gens font la queue aux boucheries, charcuteries, épiceries… etc… Comme café c’est de l’orge grillée ou alors café national (rationné) 20% de café, 40% d’orge, 20% glands et 20 % chicorée. Voici quelques prix qui se pratiquent :
- Beurre 20 f la livre
- Œufs 20 f la douzaine
- Viande de bœuf 40f le kg
- Viande de veau 60f
- Une tête de veau 120 f
- 2 lapins se sont vendus 300f
- Un poulet 150 f
- Radis 4f la botte
- Salade 4f pièce
- Choux-pommes 7f pièce
- Choux fleurs de 9 à 15f
- Asperges 20f la botte
- Pommes de terre 5f50 le kg (Noirmoutier taxées mais introuvables)
Un cheval de trait qui valait 7000 f en 39 s’est vendu 20 000 f puis 30 000 f et même 40 000 f. Le vin ordinaire rouge ou gros plant 400 f la barrique en Nvmbre 40 et maintenant de 800 à 1200 f.
Le muscadet 500f à la récolte vaut maintenant jusqu’à 2000f. On se demande où l’on va. Les souliers de 200 à 450 f, le linge est introuvable même avec des bons ou alors à quel prix !
La ville est triste, les alertes assez nombreuses, les Anglais viennent bombarder St-Nazaire et les environs, on ne sait ce qui se passe, les journaux racontent peu de nouvelles et encore souvent de fausses nouvelles, comme toujours. A quand la paix …
23.10.41 Le Lieutenant-Colonel allemand Holtz, chef de la Kommandantur a été assassiné le 20 au matin, on ignore par qui, 2 jeunes gens paraît-il, comme représailles, défense de sortir 7h le soir à 8h du matin et ce matin on a fusillé 50 otages ; 50 autres doivent être fusillés demain si les assassins ne sont pas retrouvés. La ville est triste.
24.10.41 à Bordeaux, assassinat d’un officier allemand dans les mêmes conditions. 50 otages sont fusillés. Quelle drôle de vie…
Mars 42 Des alertes presque toutes les nuits mais sans dommages.
Les Anglais opèrent un débarquement à St-Nazaire, un bateau réussit à s’approcher de la grande forme écluse, il est chargé de dynamite et saute en faisant des dégâts assez importants parait-il.
On se bat dans les rues de St-Nazaire, il y a affolement ; la population a vécu une nuit tragique.
20.5.42 Les avions anglais survolent et bombardent Nantes – des dégâts aux Chantiers Loire et Bretagne ainsi que rue Crébillon et musée Dobrée, Chantenay. 20 morts et de nombreux blessés.
23.5.42 Nouveau bombardement de la ville, cette fois quai de Versailles à la Coop de Melun – 5 morts, dégâts importants. Drôles d’objectifs militaires …
1.6.42 Les alertes se succèdent presque toutes les nuits, pas de bombes heureusement, défense passive, descente à la cave. Ce n’est pas rigolo.
Les Anglais annoncent par radio un débarquement prochain sur les côtes françaises. Où et quand ? Ils invitent la population à évacuer, que faire ? Je n’y crois pas beaucoup.
En attendant ils font des raids massifs au-dessus de l’Allemagne (Cologne avec 100 avions) ; beaucoup de victimes. La région Parisienne a été bombardée à plusieurs reprises, depuis quelques mois. Nombreux civils tués et blessés.
En attendant la vie n’est pas rose. On ne trouve rien à acheter ou alors à quel prix. Le muscadet se vend 10 f et même 15 f dans les cafés, la chopine de 22 cl.
Le pain bluté à 98% est noir et très mauvais. On ne mange que des légumes frais, on en trouve encore assez facilement mais pas de patates, ni conserves, ni haricots. Quand donc la fin de cette guerre et comme cela finira-t-il ? Les prisonniers en ont marre ils sont vraiment à plaindre depuis 2 ans et quand reviendront-ils ? Le monde entier est en guerre. Qui gagnera ? Je vois que tous sortiront épuisés et la France complètement à sec, il ne restera plus rien, les années à venir ne seront pas belles. Le marché noir sévit de plus en plus, il se fait des fortunes colossales. Tout se vend à n’importe quel prix, ou s’échange contre une autre marchandise. Les gens sont tristes, où est la gaieté d’antan ?
16.9.43. A 3h de l’après-midi les avions Américains survolent Nantes et bombardent. Raid effroyable. Blessés et morts en quantité. Gros dégâts surtout Bd des Anglais et le centre. Comme défense passive je suis affecté au Musée des Beaux-Arts ; je vais porter les blessés jusqu’à 8h du soir et ensuite les morts que l’on réunit dans la grande salle du Musée. Spectacle effroyable, à minuit avec une lanterne comme éclairage, on lave les cadavres – 50 déjà. Il est tombé des bombes partout. L’Hôtel-Dieu est démoli, on évacue les blessés hors Nantes
17.9.43 Toujours au Musée où les morts sont amenés par camions complets venant de St-Jacques, rue de la Pelleterie, Brasserie de la Meuse, de partout…  Le soir environ 600.
18.9.43 Toujours parmi les morts. Suis esquinté ; on commence à les mettre en cercueils ça sent mauvais, il y a des cadavres complètement calcinés, d’autres sans tête et affreusement mutilés.
20.9.43 Suis affecté à la Mairie au Bureau de Recherche des disparus. Sale travail. Annoncer aux pauvres gens la mort d’êtres chers, ça tire les larmes aux yeux, la liste des morts s’allonge toujours.
23.9.43 10h du matin. Nouveau bombardement de Nantes. Cette fois c’est surtout le Port qui écope, de nombreux bateaux sont coulés, dégâts importants quai Fosse et Entrepôts Chambre de Commerce. 7h du soir. Nouveau bombardement. Cette fois c’est toute la ville qui en prend un coup. Il y a le feu un peu partout. Decré, Gilles Robert, Hachette… Plus de 30 foyers d’incendie. Beaucoup de Nantais fuient sur les routes, on se croirait en mai 40. Nous partons à Vertou, Marie perd son portefeuille avec 1000 f et tous ses papiers et photos.
26.9.43 J’ai trouvé un camion et 10 l d’essence ; alors on emmène une partie de notre mobilier aux Verreries dans une pièce humide près de chez André. Sera-t-il plus en sécurité ? Non sans doute. La Préfecture réquisitionne tous les moyens de transports des environs de Nantes. Que d’autos et de charrettes dans les rues de Nantes et tous pressés par peur des bombardements.
28.5.44 Nuit. Bombardement de Nantes Quartier Doulon.
7.6.44 7h du soir Doulon-Malakoff-St-Sébastien
8.6.44 8h du matin Bd Victor Hugo-St-Sébastien-gare Etat
12.6.44 Gare Orléans-Etat-Malakoff
15.6.44 Centre-Quai Brancas. Richebourg - Cours St-Pierre.

mardi 14 août 2018

LA PEUR DE LA MORT



                                                         LA PEUR DE LA MORT


Il n’y a plus d'homme sans peur, plus de peur sans la mort
Et plus de mort sans pleurs.
Il n’y a plus une femme libre, plus rien de drôle
Plus de tenailles, que des chaînes invisibles.

Il n’y a plus de douleur que des simagrées émues
Plus de pédés, plus de drogués, plus de suicides
Il n’y a plus de haine, plus de colère
Que de la merde et du pétrole dans les artères.  

Il n’y a plus de voltige, plus un seul œil ne se retourne
Plus de cerveau, plus de sexe et plus de couleurs
Il n’y a plus de déviance, plus de sang sur les murs
Il n’y a plus de tueurs sur la route ni de fumée dans les cocktails

Il n’y a plus de cinéma, plus de musique ni de livres
Il n’y a plus de cœur dans les cerveaux.

Le dernier des sauvages s’est fait pendre
Le jour du noël dernier
Il n’y a plus d’indiens, plus de mirages
Il n’y a que du béton et des poupées.

Le dernier des sauvages s’est fait mutiler
Sur la place de la République
Il n’y a plus de cris, plus personne n’hurle
A voix basse les bonnes gens.

Le dernier des sauvages s’est fait torturer
On lui a enfoncé une barre à mine dans le cul
Tous, un à un, on lui a forcé l’anus
Jusqu’à le transpercer de bas en haut.

Le dernier des sauvages s’est fait violer
Tous un à un, on lui a crevé les yeux
Bouffé les joues avec nos crocs
Et on l’a écouté hurler.

On lui a capitalisé les orifices
Boursicoté les couilles
On a enfoncé nos sexes turgescents
Dans ses narines de sauvage 

Il a tellement hurlé
Cela nous a fait tellement de bien
Nous avons tous joui en cœur
Sur le corps du sauvage

Des millions de jets
De liquides blanchâtres
Ont tâché le sauvage. 

Jusqu'à lui donner
L’odeur de la mort
L'odeur de la mort
L'odeur de la mort. 

Ensuite tout est redevenu
Tel qu’il devrait être
Tout est revenu
à la normale à la normale à la normale 

Le vent est retombé
La mer s’est calmée
La terre s’est arrêtée
Le temps a coulé
Les yeux se sont ouverts
Les cahiers se sont ouverts
On a repris les dictées
Les docteurs ont docté
Les vendeurs ont vendu
Les censeurs censuré
Les dictateurs dicté.
Tout est revenu
A la normale.
Tout le monde a souri
Le dernier sauvage s’est répandu en viscères sur le sol de la place de la République des milliers de mouches lui sortaient de la bouche des milliers de vers lui grignotaient la langue l'odeur de la mort partout les narines éclatées des rats dans les intestins.
Tout le monde est rentré chez soi
Nous avons tous bien mangé
Et notre viande sous vide
Nos yaourts et nos pilules
Nos sodas
Et ensuite on a bien chié dans nos toilettes
On a bien vidé nos intestins de merde dans l’eau potable.
Et puis tous, nous nous sommes mis au lit
Nous avons fermé les yeux
Et tranquillement
En êtres apaisés
Nous nous sommes
Endormis.