C’est un soir d’été, ceux que vous savez, quand l’herbe
verte se fait jaune, le ciel ocre et la lumière pâle. Au loin une douce brume
tombe sur les beiges collines, comme l’on drape le corps d’une amante sur le
seuil de la mort. Ici dans la prairie, un repas familial dérange les oiseaux
autour. Une grande table en plastique blanc court d’un bout à l’autre du petit
champ. L’herbe a été coupée la semaine dernière, et quelques pissenlits
viennent déjà nous gratter les chevilles. Nous sommes à la fin du repas, quand
les conversations se font plus douces que les bruissements des moineaux, quand
l’odeur est au café et l’humeur à la sieste. Au milieu, quelques grands-parents
s’affrontent silencieusement à la pétanque, pendant que les enfants les
regardent de leurs yeux fatigués. Quelques voitures démarrent doucement et on
entend le crissement feutré des pneus sur l’herbe sèche, ce sont les cousins et
les tantes qui s’en retournent chez eux.
Ne reste à la table qu’une petite dizaine de personnes sur
la centaine de l’après-midi. C’est l’heure à laquelle les discussions se
permettent d’être plus personnelles, où l’on parle des maladies de chacun, des
problèmes d’éducation des autres, du petit Jérémy qui est handicapé… Le repas
aura duré 7h, et c’est plongés dans la satiété que les adultes commencent
maintenant à se dire au revoir.
On s’approche de moi, mon fauteuil est tourné vers
l’horizon, et je regarde l’herbe verte se jaunir, le ciel s’ocrer et la lumière
pâlir. J’ai la chance d’avoir le fauteuil le plus confortable de tous, un
molletonné, un avec dossier réglable et tout le confort moderne. J’ai même des
roues. Bientôt l’on en vient saisir les poignées et on me retourne, on
m’éloigne de l’herbe jaune le ciel ocre et la lumière pâle. Face à moi s’ouvre
le grand coffre du van de mes parents, et on m’enfourne dedans. Chaque bout de
famille restante se salue et monte dans sa voiture en silence. Il ne reste que
Tonton Gégé et Tonton Marcel pour plier la grande table blanche en plastique et
ranger les chaises qui restent. Ils en profitent aussi pour terminer quelques
verres en pouffant dans leurs barbes. Deux tontons perdus dans la lumière
orangée, ramassant les pieds d’une table blanche tout en sirotant du vin rosé
de l’autre main, c’est l’image que j’ai à travers le pare-brise arrière alors
que le Van bleu s’enfonce dans le petit chemin, pour aller retrouver le gris de
la grand-route un peu plus loin.
« Où vont les couleurs quand la nuit les
tombe ? »
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