mardi 11 août 2015

ESSAI SUR LE THEME : LES YEUX


Fermés ils laissent l’impression amère d’une entreprise inachevée, d’un immense bâtiment auquel manquent les fenêtres et les portes. Un lieu clos, inhabitable, dans lequel règne la pestilence des rongeurs de l’humide. Et pourtant de l’extérieur, mon dieu quelle beauté ! L’architecture est lisse, subtilement symétrique, élégamment proportionnée, une douce délectation des yeux pour tout expert en la matière. Seules manquent les ouvertures vers le monde, ou plutôt les ouvertures vers l’intérieur. Car à bien y réfléchir, lequel d’entre nous, devant une telle merveille, resterait au perron ? Nous aurions tous, femmes et hommes, enfants et vieillards, envie d’y rentrer, de se blottir dans la douce lumière chaleureuse qui semble régner à l’intérieur.

Ouverts ils éclipsent tout et la divine élégance de l’architecture autour s’efface. Comme l’eau disperse les grains de sable mais laisse à leur place les diamants. Ils sont ouverts, ohé ! Alors tout autour semble être aspiré par cette gravitation insensée, les regards se tournent, les voix se taisent et les bouches s’ouvrent. La lumière elle-même semble changer de direction pour se plonger dans ces deux fenêtres bleues, aux reflets or et vermeils, qui semblent écraser le monde entier sous le poids d’une bienveillance presque humaine. Et quand s’allument à l’intérieur les lustres de sa malice et de son charme, nous donnerions tous notre mère pour être au centre de ce rayonnement presque palpable, ce soleil miniature.



Rieurs ils semblent pouvoir nous faire oublier la misère et la peur, la mort et le temps. A les regarder étinceler de leurs lueurs argentées, on ne peut s’empêcher à notre tour de sourire, et devenir nous aussi, et c’est là leur vraie force, des soleils miniatures.

Humides enfin, ils nous rappellent au gris et à la mélancolie, et à les contempler déborder de larmes nous sentons sur nous l’immense poids de notre insuffisance et l’inutilité complète de nos existences futiles. Nous sommes à les regarder pleurer comme écrasés par les astres que la honte de ce que nous sommes nous empêche de contempler.

Et quand ils se fermeront à jamais, nous nous éteindrons aussi, car alors l’univers pleurera ses soleils favoris.

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