Le visage est sec. Tendu. C’est un visage d’homme
cassé. Les yeux semblent s’être tordus autour d’un nez brisé qu’ils entourent
presque. Le regard est triste et résigné, perdu mais fixe, d’un autre temps, et
la lumière de la lune le revêt d’une pâleur scintillante, elfique. La peau
partout est bouffie par l’âge et le sel, des milliers de rides viennent
cisailler chaque commissure. Perché en haut de la falaise, couvert d’un
imperméable filiforme qui rappelle la bâche que l’on met sur le bois mouillé,
l’homme est arc-bouté au-dessus du vide, dans cet impensable équilibre qui caractérise
les gens qui toute leur vie ont ployé sous la contrainte, fut-elle celle du
labeur acharné ou de la simple érosion des jours. En bas les vagues viennent
clapoter contre les rochers. Depuis la nuit des temps la Mer vient heurter la
pierre, conquérante intraitable des terres humaines.
A travers la nuit, l’homme projette son regard à
l’horizon. Ou plus exactement il le jette, abandonnant son corps en haut
de la falaise. Avec son regard s’est envolée son âme, et maintenant elle
navigue sur les flots à la manière d’un bâtiment corsaire, majestueuse et
branlante, secouée dans tous les sens par les assauts de la houle et du vent,
le cap obstinément maintenu vers le large, comme si à l’horizon l’eau
s’arrêtait, signifiant la fin du voyage, l’arrivée tant attendue, le but
ultime, la chute finale, la mort enfin.
Alors que
l’âme cherche le bord du monde, une brume inquiétante s’y lève, et
progressivement vient recouvrir tout l’horizon. Comme un démon renaît de ses
cendres et s’étire de toute la démesure de son corps éthéré, la brume s’étend
et déploie ses immenses et vaporeux tentacules. Dans un galop irrésistiblement
lent, dans un silence assourdissant, elle avance inéluctablement vers la côte.
Les flots bruns s’affolent sous son passage, elle est la Menace et l’âme de
l’homme s’en revient à son corps, apeurée.
Mais il est trop
tard. La terre elle-même est envahie d’un brouillard poisseux, opaque, qui
vient diffracter les rayons lunaires pour créer une atmosphère laiteuse,
blanchâtre, une étrange nébuleuse qui maintenant entoure le vieil homme comme
un malsain nuage. Impossible de trouver le chemin de la maison, et l’ombre de
la panique vient le saisir au cœur. Les bras de la brume l’enserrent à présent,
et la lame de la terreur vient lui creuser les entrailles. Les mugissements de
la mer en bas se font vacarmes chaotiques, les yeux du ciel le foudroient, les
oreilles de la terre l’entendent gémir alors que des origines de la Mer naît un
navire immense, couleur ombre, flouté par la brume et les embruns. A son bord
au pont avant, nerveuse et grimaçante, se tordant les mains jusqu’à s’en
retourner les poignets, la mort sourit.
Quand le vieux
gardien de phare plonge du haut de sa falaise, son regard est triste et
résigné, perdu mais fixe, d’un autre temps, et la lumière de la lune le revêt
d’une pâleur scintillante, elfique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire